Très bon article de l’avocat Gilles Antonowicz sur la fonction présidentielle. Dans le Nouvel obs du 18/04/2012. Même si je n’appelle pas pour ma part à l’abstention, je suis d'accord avec ces propositions, en particulier le septennat non renouvelable et pour un régime primo-ministériel.
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C'est l'évènement central de notre calendrier politique. L'élection du président de la République au suffrage universel est pourtant une anomalie, pour l'avocat Gilles Antonowicz, qui appelle les citoyens à s'abstenir dimanche en signe de protestation contre un système qui affaiblit selon lui le débat politique.
Qui s’en souvient ? A l’origine, en 1958, la constitution de la Ve République ne prévoyait pas l’élection du président de la République au suffrage universel. Heureuse époque…
Le président de la République devait être élu pour sept ans par un collège de grands électeurs rassemblant les membres du Parlement, des Conseils généraux et des assemblées des territoires d'Outre-Mer, ainsi qu’un nombre variable de représentants élus des conseils municipaux, calculé en fonction du nombre d’habitants de chaque commune.
Ce n’est qu’en 1962, au sortir du drame algérien, que la Constitution fut révisée à l’initiative du général de Gaulle, soucieux de refonder sa légitimité par un référendum valant plébiscite.
Un système qui paralyse l'exercice du pouvoir
La première élection au suffrage universel eut lieu en 1965 et nous nous apprêtons à en vivre la sixième édition. Les dérives et les inconvénients de ce système deviennent de plus en plus évidents: il favorise l’avènement d’hommes ou de femmes à l’égo surdimensionné ("anormaux" pourrait dire François Hollande), éliminant par nature tous ceux qui peuvent avoir une approche tempérée de la politique et une soif modeste du pouvoir (Chirac élimina Barre, et Mitterrand, Rocard).
Il provoque un battage médiatique aussi permanent qu’insupportable. Une élection est-elle à peine achevée que les commentateurs parient sur la prochaine, les ambitions s’affichent sans retenue dès maintenant pour 2017 et Jean-François Copé s’y voit déjà. Il paralyse l’exercice du pouvoir.
Relisons "De la démocratie en Amérique" :
"On peut considérer le moment de l’élection du président comme un moment de crise nationale, constatait Tocqueville dès 1835. Longtemps avant que le moment fixé n’arrive, l’élection devient la plus grande et pour ainsi dire l’unique affaire qui préoccupe les esprits. Les factions redoublent alors d’ardeur ; toutes les passions factices que l’imagination peut créer, dans un pays heureux et tranquille, s’agitent au grand jour. Le président ne gouverne plus dans l’intérêt de l’Etat mais dans celui de sa réélection ; il se prosterne devant la majorité et souvent, au lieu de résister à ses passions, comme son devoir l’y oblige, il court au devant de ses caprices. A mesure que l’élection approche, les intrigues deviennent plus actives, l’agitation plus vive et plus répandue, les citoyens se divisent en plusieurs camps. La nation entière tombe dans un état fébrile, l’élection est alors le texte journalier des papiers publics, le sujet des conversations particulières, le but de toutes les démarches, l’objet de toutes les pensées, le seul intérêt du présent"
Il génère des besoins financiers considérables (280 millions d’euros, c’est le montant officiel du coût de cette élection pour le budget de l’Etat), toujours insuffisants, ce qui pousse les partis à contourner les règles du financement politique et contribue à nourrir jour après jour le dangereux "tous pourris".
Il porte le risque d’une instabilité politique majeure en cas de décès subit du président élu en cours de mandat, voire en début. Cela est arrivé à un Pape, cela pourrait bien arriver à un président…
Personne n’est à l’abri (les Américains le savent, eux qui ont tout de même pensé à disposer - au cas où - d’un vice-président). Il n’y aurait chez nous, dans une telle hypothèse, qu’une seule solution : recommencer tout ce cirque ! Et tout ça pour finir par débattre de la réforme du permis de conduire !
Une singularité française
Nous sommes le seul pays en Europe à avoir adopté pareil système. Sommes-nous pour autant mieux gouvernés que l’Allemagne ou l’Angleterre qui se contentent sagement de désigner leurs gouvernants via des élections législatives ? La réponse est dans la question…
Supprimons l’élection du président de la République au suffrage universel et rétablissons son élection pour sept ans par un collège de grands électeurs en veillant à prohiber la possibilité d’un deuxième mandat. Cela ne nuira nullement à la fonction présidentielle. Bien au contraire, cela lui rendra sa capacité à se conduire en arbitre.
Outre les élections européennes, régionales et cantonales, limitons l’usage du suffrage universel à l’élection de nos représentants à l’Assemblée nationale en conservant le scrutin majoritaire à deux tours qui permet la constitution de majorités stables de manière à éviter le retour à l’instabilité ministérielle des IIIe et IVe Républiques.
Que le chef de la majorité élue soit appelé à la fonction de Premier ministre par le président et ainsi retrouverons nous la lettre et l’esprit de la constitution de 1958 qui, en son article 20, édicte que c’est le Gouvernement qui "détermine et conduit la politique de la Nation."
"Parmi les mille combats, les mille actes de résistance de Raymond Aubrac, pouvait-on lire dans Le Monde du 14 avril, il en était un sans doute moins connu : son opposition farouche à l'élection du président de la République au suffrage universel. "C'est la plus grave faute de de Gaulle", disait-il. A ses yeux, ce mode d'élection conduisait la vie politique à la vacuité, engendrant la prééminence des personnes sur les idées, de la forme sur le fond. Il dénonçait notamment le danger d'"une élection par les médias", stigmatisait des campagnes électorales "à l'américaine", fondées sur l'instant, sur la réactivité plutôt que sur la réflexion, maudissait les sondages "devenus la base d'une politique court-termiste"."
Comme il avait raison. Résistez ! Par votre abstention, manifestez votre refus de l’élection du président de la République au suffrage universel !